Suite (de la suite) de mon dernier roman

Publié le par martel

 Elle attendra d’être à la maison pour pleurer. Pas devant les gens. Ça s’était passé de la même façon l’année précédente. Et maintenant, avec ce déménagement ! Morgan commençait seulement à prendre ses repères…

 

Sur le siège arrière, Manuel l’attend, impatient :

 

- Maman, on va être en retard !

 

Le collège. Il a moins bonne réputation que celui où il a fait sa Sixième. Il aimait bien son ancien bahut comme il disait. Et ses copains qu’il ne reverrait plus ! Clara avait bien promis mollement qu’elle les inviterait un jour pour un goûter. Mais le garçon savait que sa mère détestait inviter des gens, organiser quelque chose qui sortît de l’ordinaire.

 

L’angoisse se lit sur son visage. Elle le voit bien dans le rétroviseur. Même s’il fait semblant de s’intéresser à ce qui se passe au dehors, aux transporteurs qui déchargent leurs marchandises, prestement, répondant par des gestes obscènes à la joyeuse cacophonie des avertisseurs  des automobilistes bloqués. Elle le connaît bien, son grand. Il est comme ça ! Comme elle d’ailleurs. Sensible à l’excès.

 

Et Frédéric ! Quel prétexte avait-il trouvé pour ne pas l’accompagner, pour se défiler ! Du boulot à la boîte ! Et tout était dit ! C’était pourtant sa place à lui aussi ! Il était leur père ! Elle jure en effectuant pour la troisième fois un créneau hasardeux devant le collège. Manuel ouvre la portière et se précipite vers la grille. Elle l’appelle. Elle a rangé la voiture de façon anarchique. Elle se donne bonne conscience en allant jusqu’à l’entrée. Puis rebrousse chemin. Décidément, ce n’est pas sa journée ! Cela fait un mois que ce n’est pas sa journée. Depuis ce déménagement ! Et même avant, pour être tout à fait honnête ! Allez, je rentre, se dit-elle. Si Frédéric avait été là au moins ! C’est sur les femmes que retombent toutes les corvées !

 

Elle est encore tout excitée quand elle gare la voiture devant la maison. Au loin, on distingue les silhouettes filiformes des éoliennes de Mardyck. Son mari qui emprunte l’A16 tous les jours pour se rendre à son garage à Dunkerque longe le site de la raffinerie Total…et quand il parle des 5 éoliennes, il ne tarit pas d’éloges. A croire que c’est un émule de Gustave Eiffel qui en a dessiné les plans ! Et il faut l’entendre comparer les énormes pales aux ailes de moulins !

 

- De dernière génération ! Tu te rends compte ? Non ! Tu ne peux pas comprendre ! 

 

Il reste confondu devant tout ce qui touche à la technologie. Elle, ce serait plutôt les monuments, les vestiges du passé comme elle dit. En particulier, la cathédrale de Saint-Omer, dont on distingue déjà la tour à une vingtaine de kilomètres de son nouveau logement. Quand ils se rendent chez ses parents qui habitent à Saint-Martin-au-Laërt et que l’on distingue le beffroi massif de cette cathédrale huit fois centenaire, elle se sent chez elle. Des milliers et des milliers de gens y sont allés se prosterner au cours des siècles. Elle aimerait, de temps en temps, retourner prier sur une des chaises en paille dont les cannelures s’impriment sur vos genoux.  Comme quand elle était petite et que son père la grondait quand elle se tortillait sur la chaise ou qu’elle laissait tomber son missel aux pages fines comme des ailes de papillon. Mais l’homme qu’elle a épousé se moque d’elle lorsqu’elle évoque devant lui ces moments de béatitude, ces instants où, agenouillée, les mains jointes, les yeux clos, elle récitait de longues prières. Elle quittait les lieux avec gravité alors que les enfants de son âge exprimaient plutôt avec gaieté le retour à l’air libre ! Son mari ne peut pas la comprendre : il est athée, lui ! Oh non, que dit-elle ! Elle sourit au souvenir de la leçon que lui a faite Frédéric, sur la différence qui existe entre un athée et un agnostique, avec cette attitude condescendante qui est la sienne quand il s’imagine contribuer à l’instruction de sa femme.

 

- C’est pas que je crois pas en Dieu, ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas savoir s’il existe. Alors je ne me prononce pas !

 

Elle avait eu envie de lui répondre qu’elle le reconnaissait bien là : jamais d’opinion bien tranchée. A table, choisir entre un camembert, un reblochon et un comté relevait pour lui du dilemme le plus cruel !

 

 Toujours est-il qu’elle avait perdu l’habitude de se rendre à la messe.

 

Publié dans andre.martel

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K
Ce passage de votre livre donne l'eau à la bouche.J'ai parcouru votre blog fort inétressant.Courage pour surmonter votre trac à la sortie de votreroman!J'aimerais avoir autant de courage pour arriver à faire publier le mien et surtout la force d'oser croire qu'il en vaut la peine.Amicalement
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G
Bonsoir André.Passionnant tes écrits.Au plaisir.Amicalement.
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C
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M
il est très bien ton blog. Bonne conrinuation et à bientôt.
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C
je connais un peu cette région, en plus<br />  
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